Les conflits de génération ont toujours existé et pas seulement en entreprise. Notre société est un macro modèle de conflit de générations : nous n’avons qu’à observer la vie des partis politiques, des syndicats, des associations… jusqu’aux relations parents/ enfants ou professeurs/ élèves. L’entreprise ne peut y échapper.
Contrairement à la diversité des sexes et des origines qui est plutôt bien acceptée, la mixité des âges pose encore problème aux entreprises marocaines. Incompréhensions, Préjugés et stéréotypes, hiérarchie de valeurs opposée, les frictions ne manquent pas. À tel point que dans l’inconscient de nombreux décideurs, peu se risquent à faire travailler des gens de générations différentes dans une structure ou dans un projet en dehors de tous liens hiérarchiques.
L’exercice consistant à créer des typologies, à catégoriser est inévitablement réducteur. Cependant on peut observer qu’au Maroc, il n’est pas rare de voir cohabiter dans l’entreprise au moins trois générations :
Une population âgée de 45 ans et plus :
Génération qui a bénéficié de la croissance, du plein emploi qui croit aux idéaux de progrès et de justice pour tous.
La réussite sociale et professionnelle est le fruit naturel de l’effort et de l’engagement. Il en sera ainsi à l’école, dans le milieu du travail et dans la vie sociale. La valeur travail est vénérée, l’oisiveté et la paresse bannies.
Contestataire au niveau politique et sociale cette catégorie se montre paradoxalement respectueuse des institutions et des normes en entreprise, loyale envers la hiérarchie, elle est plus focalisée sur l’expression collective et l’intérêt général que sur l’intérêt individuel.
C’est une génération stable et patiente, pour laquelle les aspects matériels sont secondaires en comparaison de l’auto satisfaction générée par le travail bien fait.
Une génération âgée de 30 à 45 ans :
Génération marquée par le choc de la mondialisation et de la révolution technologique, l’effondrement des valeurs classiques de progrès et d’universalisme, la remise en cause des modèles politiques, institutionnels mais aussi de gouvernance et de management dans les entreprises.
Méfiante à l’égard des organisations et des institutions, elle se désengage en politique et cherche plus d’équilibre entre la vie privée et la vie professionnelle.
A l’inverse de leurs aînés, ces publics ne cherchent pas à changer le monde, se montrent sceptiques vis-à-vis du futur et ne croient pas à l’accesseur social basé uniquement sur le mérite, l’effort et l’engagement.
En entreprise ils se montrent pragmatiques .Ils voudront percer en valorisant leur contribution individuelle et chercheront en permanence à se positionner par rapport à leur alter égaux. Ce qui les amène régulièrement à changer d’employeur.
Une génération âgée de moins de 30 ans :
Élevée dans un monde marqué par les changements profonds et rapides, acquise au consumérisme et à l’Internet, cette génération arrive avec une relation différente à à l’autorité, au travail, au temps, à l’espace et à l’argent et des attentes bien à elle quant à ses rapports avec l’entreprise en tant qu’institution.
Vis-à-vis de l’autorité les comportements de ces nouveaux entrants sont souvent perçus par leurs aînés comme une absence de maturité : vouloir s’affirmer dès le premier jour, insubordination aux règles, tendance à contester les décisions de la hiérarchie…. autant d’éléments qui reflètent des changements sociologiques profonds.
Rebelles, impatients, réticents aux normes : les managers sont habitués à être confrontés à ces jeunes qui découvrent l’univers de l’entreprise et ont besoin d’un véritable moment de transition pour devenir des collègues ou des collaborateurs « culturellement » intégrés aux valeurs de l’entreprise.
Ces jeunes estiment qu’ils travaillent avec et non pour leur manager. Ils reconnaissent la compétence plus que la hiérarchie et beaucoup plus que l’ancienneté .Sont demandeurs d’écoute et de plus forte disponibilité de leur manager. Pour eux un bon manager c’est celui qui est capable de leur apporter quelque chose.
La relation au travail est un autre élément distinctif de cette catégorie de salariés. Ce n’est pas forcément la chose la plus importante ( vs famille, amis..)
Ce n’est pas seulement un moyen d’assurer « la sécurité » sociale
Ces jeunes ne supportent pas la routine et ont besoin d’excitation permanente.
A la différence de leurs aînés, Ils tiennent beaucoup à leurs congés et à leur week-ends.
Cette génération se caractérise également par un rapport au temps marqué par le court terme. Ils comprennent mal par exemple l’utilité de planifier leur actions sur une année, comme le font leurs aînés, et préfèrent eux programmer à très court terme et privilégier l’ajustement permanent.
Ils ont aussi un rapport singulier à l’espace : changer de métier, changer d’employeur, changer de statut ( devenir indépendant..), et être tout le temps en veille c’est la caractéristique commune de toute cette population parfois nommée génération Y.
Enfin leur relation à l’argent est totalement décomplexée : ils pensent que beaucoup de choses leur sont dues et sont des droits basiques. Ils estiment qu’à chaque chose correspond une récompense et se demandent à chaque occasion ce qu’ils vont gagner en échange.
Une fois cette typologie, même sommaire, établie, pour moi, l’idée du conflit intergénérationnel n’est pas forcément la variable la plus déterminante dans la vie en entreprise. Il faut plutôt parler de l’âge tout court. Est-il un facteur discriminant ou pas?
Aujourd’hui, les entreprises sont dans une autre problématique qui est la suivante : comment laisser les identités s’affirmer (et l’âge est un critère important de l’affirmation de l’identité individuelle) sans remettre en cause la cohérence du groupe?
A ce niveau, le comportement du manager est déterminant. S’attacher aux faits, aux résultats, aux indicateurs plutôt que verser dans les raccourcis et les jugements de valeur, permet à chacun au sein de l’équipe de chercher sa place dans la sérénité et la responsabilité.
Peut être dans certains métiers, l’âge est un signe de crédibilité et de maturité. Quand, on est appelé à gérer des interfaces à niveau d’exigence élevé, en plus de la compétence, l’âge est également prioritaire. C’est le cas par exemple quand il s’agit de composer avec des interlocuteurs qui ont un background et une séniorité dans la gestion de certains dossiers : partenaires sociaux, actionnaires, clients stratégiques, pouvoirs publics … D’autres métiers sont davantage tournés vers les jeunes à titre d’exemple la communication, le marketing, l’ingénierie, le contrôle de gestion et plus généralement les métiers d’expertise et de services…
L’enjeu est de comprendre comment se caractérise le comportement au travail
des plus jeunes, afin d’en tirer parti plutôt que de le subir.
Il ne s’agit pas simplement d’accompagner la transition des jeunes dans le monde « adulte »…Plus profondément, ils sont et resteront différents de leurs aînés. L’enjeu est tout autant d’ajuster ses modalités de management pour interagir efficacement avec des personnes caractérisées par de nouvelles manières d’être au travail.
Il faut répondre à leur désir d’autonomie et de responsabilité en spécifiant précisément leurs marges de manœuvre.
In fine, le jeune et le senior, tout deux ont leurs places dans l’entreprise. L’entreprise n’est donc pas vouée à choisir ses collaborateurs en fonction de la date de naissance. Le plus important c’est de ne pas se tromper de casting et de s’appuyer sur des critères objectifs qui sont à même de permettre de se rapprocher au maximum du profil idéal pour le poste.
Afin de faire coexister harmonieusement juniors et seniors, de fidéliser les plus jeunes et de remobiliser les anciens, les entreprises vont devoir repenser les modes d’échange et de collaboration, mais surtout leur appréhension de la gestion des carrières. Quand on n’y arrive pas, les guerres de tranchées sont de nature à perturber considérablement le fonctionnement de l’entreprise.
Une entreprise devient attractive pour des publics de tout âge lorsque les salariés font confiance à leur management, sont fiers de leur travail et se réjouissent d’avoir à travailler avec leur collègues. Valoriser les différences, renforcer le capital confiance sont les leviers clef d’une bonne cohabitation inter générationnelle.
Quant à l’âge, on peut s’interroger légitimement s’il constitue le seul indicateur de la jeunesse notamment en entreprise. Picasso avait l’habitude de dire » il faut beaucoup de temps pour devenir jeune.. » alors ne perdons pas de temps !!!