L’entreprise :
Une entreprise publique opérant dans le domaine des services, cédée par l’Etat à un groupe international leader dans son secteur d’activité.
Le manager :
Le directeur général, homme d’expérience ayant fait ses preuves dans d’autres filiales du groupe se voit confier pour mission d’améliorer les performances de l’ex-entreprise publique et de moderniser son management.
Le constat de départ
L’ancienne structure « publique » administrative a privilégié, des années durant l’impunité et le « copinage », et un système de promotion valorisant la loyauté et l’ancienneté, au détriment de la compétence et de la performance.
Le respect légitime de la hiérarchie a par ailleurs, trop souvent justifié le manque d’initiative et de responsabilisation. L’exercice de l’autorité était perçu et accepté comme « joug fonctionnel » ; la crainte de la confrontation a favorisé une stratification complète et l’absence de communication tant verticale qu’horizontale.
Le manque de procédures a renforcé l’inorganisation. L’absence d’esprit d’équipe rendait vaine toute idée de mobilisation de d’animation.
Enfin tout l’encadrement avait du mal à situer l’activité de l’entreprise dans une perspective économique.
La démarche adoptée
Dès le départ des signaux très forts sont donnés et de nouvelles règles du jeu sont clairement exposées :
- Les titulaires des principaux postes de responsabilité sont écartés ou redéployés.
- Les critères d’évaluation et les attentes envers le management sont explicités : notamment l’obligation de résultat et l’intransigeance vis-à-vis deceux qui ne rentrent pas dans la nouvelle configuration
- La nécessité de rendre comptesur tout dysfonctionnement et l’obligation d’opérer une rupture totale avec les modes de fonctionnement d’avant la privatisation
- Créer un sentiment d’urgence et un climat de pression pour montrer à tous que désormais ça ne fonctionnera plus comme avant.
Pour accélérer le rythme le groupe fit venir de la maison mère des cadres expatriés,jeunes, bardés de diplômes, à qui il confia les principales fonctions de première ligne ;
Il envoya également des conseillers pour accompagner la nouvelle filiale dans son processus de changement.
Ces derniers mettent en place un impressionnant dispositif de conduite du changement qu’ils baptisent « le choc management ».
Une grande messe est organisée à laquelle sont conviés tous les cadres de l’entreprise. Le Directeur Général introduit la rencontre en prononçant le discours suivant :
« Messieurs nous avons un port à atteindre, nous y arriverons contre vents et marées, et rien n’est négociable : ni la destination, ni la vitesse ni l’équipage que j’ai choisis. Aucune erreur ne sera tolérée, d’ailleurs « Chez-nous l’erreur est inhumaine ….»
Les manifestations de la crise :
La reprise de l’ensemble activités par le nouvel actionnaire, bien perçue au départ par beaucoup, n’a bien entendu pas généré ipso facto une culture de changement ; l’attitude majoritaire a été dans un premier temps l’attentisme « voyons les moyens et les méthodes du nouveau venu ».
Dans les réunions les cadres faisaient acte de présence mais évitaient de prendre toute initiative de peur qu’on leur demande plus tard de rendre des comptes.
A la convention annuelle de l’encadrement les deux tiers des invités n’ont pas fait le déplacement.
Puis progressivement l’attentisme a laissé place à la méfiance puis à la résistance avant de déboucher rapidement sur le rejet
Dans les bureaux des accrochages entre anciens et nouveaux responsables avaient lieu au quotidien.
Une partie de l’encadrement contestait ouvertement la compétence de leurs nouveaux supérieurs hiérarchiques, en particulier ceux expatriés au Maroc.
Enfin la montée des tensions va dégénérer en conflit ouvert.
Les syndicats dont la présence était marginale avant la privatisation se sont vite imposés comme contre pouvoir de poids et ont même réussi à faire adhérer une partie de l’encadrement. A partir de cet instant une alliance « contre-nature » s’est hissée entre une partie de l’encadrement supérieure et la base syndiquée pour réclamer le limogeage de certains directeurs, le départ des expatriés et l’abandon de certaines méthodes de management introduites par la nouvelle équipe.
La déception était d’autant plus grande que les salariés avaient dans leur grande majorité longtemps attendu « ce fameux changement » qui allait les affranchir des jougs de l’ancien management.
Le commentaire du consultant
Que s’est-il passé ? Les nouveaux managers ont commis trois erreurs
- Ils ontméprisé leur personnel
- Ils ontdénigré son passé
- Ils leur ont refusé le droit à l’erreur
Forts de leur position dans l’organisation, dopés par le prestige de leur expérience et de leurs diplômes, assurés de l’appui de leur maison mère les nouveaux managers se sont crus autorisés à jouer aux moralisateurs, aux redresseurs des torts, en bousculant les hiérarchies et les méthodes et en balayant les solidarités et les liens interpersonnels.
La grande majorité des employés résignée depuis toujours aux règles du jeu de l’ancien système n’arrivaient pas à comprendre pourquoi ils étaient montrés du doigt.
Traités d’incompétents, de magouilleurs, de décalés ils ne savaient plus à quel saint se vouer ;
Et pourtant c’est grâce à eux que des années durant l’entreprise a pu fonctionner tant bien que mal. Le dénigrement de leurs sacrifices et la stigmatisation dont ils ont fait l’objet ont fini par réveiller en eux une fierté tardive qui pris la forme d’un cri de colère.
Dans les grands chantiers de conduite du changement les problèmes ont souvent leur source dans le déficit d’écoute et de responsabilisation des gens.
Dans le cas qui nous intéresse aujourd’hui l’entreprise s’est trouvée coupée entre deux mondes juxtaposés qui s’ignoraient mutuellement :
Un sommet qui vit pratiquement en vase clos , qui a son propre langage, ses habitudes , ses rites et ses méthodes perdant ainsi tout contact avec la réalité du terrain.
Et la masse coincée dans un système qui inhibe son initiative et terrorise sa créativité.
L’idée de renforcer le top management par des compétences nouvelles et souvent rajeunies n’est pas en soi une mauvaise idée, bien au contraire, mais en ressources humaines, comme en médecine, quand la greffe est opérée sans tenir compte de la prédisposition du corps qui va la recevoir et sans préparation suffisante ; la greffe échouera et le nouvel organe sera rejeté.
D’un autre côté les managers de cette entreprise auraient du comprendre que dans des périodes de transition et de changement structurel, il y a une inertie due à la nécessaire adaptation avec les nouvelles donnes .Le droit à l’erreur devient un moyen d’humaniser les acteurs et de leur donner la possibilité de ne pas inhiber leur actions. Les gens ont le droit de ne pas réussir, à condition de s’être battu.
Comme aimait à le répéter Bill Gates, le plus grave ce n’est pas de commettre des erreurs, car lorsqu’on se trompe on apprend, mais ceux qu’ils faut sanctionner ce sont ceux qui se mettent en position d’hors-jeu stratégique.
Omar BENAINI
Consultant Associé
LMS Organisation & RH
Professeur de management à l’ENCG