Paroles de managers : « Il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour  »

L’entreprise :

Une grande entreprise opérant dans le secteur des services

Le contexte :

Le Directeur Général, homme d’expérience, tient les règnes de l’entreprise depuis une quinzaine d’années. Son charisme et sa forte personnalité font de lui un personnage à la fois admiré et craint. Les performances commerciales de l’entreprise ont renforcé sa légitimité aux yeux des actionnaires et imposé son autorité auprès de ses collaborateurs.

La croissance rapide des activités de l’entreprise, la diversité des métiers et des régions dans lesquels elle opère rendaient nécessaire d’opérer une refonte totale de son organisation et l’identification rapide de managers à fort potentiel en mesure d’accompagner et de pérenniser ce nouvel élan de développement tout azimut.

Le constat de départ

Le directeur général décide de confier une mission de réorganisation  à un consultant à  qui il demanda également de procéder à une évaluation des potentiels des cadres supérieurs.

Au terme de ses travaux le consultant proposa des scénaris de structures organisationnelles et  un classement des cadres ainsi évalués en fonction de leur capacité à prendre en charge les missions définies dans la nouvelle configuration organisationnelle.

Le Directeur général félicita le consultant pour le professionnalisme et la qualité des travaux réalisés et annonça que les nominations aux nouvelles fonctions  seront communiquées lors de la prochaine réunion du comité de direction et qu’elles prendront effet  la semaine suivante.

La démarche adoptée

Effectivement la nouvelle organisation  est  arrêtée et diffusée à l’ensemble du personnel. Mais à la surprise générale les personnes désignées pour occuper les postes de management de première ligne  n’étaient pas celles identifiées par   le consultant comme cadres à haut potentiels .Bien au contraire les heureux élus correspondaient à des profils ordinaires très en deçà des exigences des fonctions pour lesquelles ils sont désormais prédestinés. 

Intrigué le consultant interrogea le Directeur Général sur les raisons pour lesquelles il n’a pas retenu les candidats les mieux classés. Ce dernier expliqua que les personnes non retenues ne montraient pas, au quotidien, suffisamment de signes de loyauté et de révérence en vers lui.  Et il enchaîna : » vous savez, dans la vie il n’ y a pas d’amour, il n’ y a que des preuves d’amour… ».

Les manifestations de la crise :

Un climat de démotivation et de tension s’est installé chez une partie des cadres supérieurs et le  directeur général  a décidé de venir expliquer ses décisions dans une réunion  de l’encadrement :

«  Je sais que certains d’entre vous me trouvent dur et injuste  et pensent que je ne les ai pas  responsabilisé dans la nouvelle organisation dans une intention délibérée de leur nuire. »

Il poursuivit sa démonstration de la manière suivante : » je voudrais partager avec vous une anecdote qui, à mes yeux, est pleine d’enseignements pour notre entreprise.

Par une glaciale matinée d’hiver un  oisillon se trouva paralysé de froid dans un pré à proximité d’une vache .Celle-ci aperçût la petite créature et, sans gène, lui balança ses excréments sur la tête.  L’oisillon réchauffé par la matière organique  fumante qu’il reçût  du bovin reprit vie et commença à gazouiller avec enthousiasme et énergie si bien qu’il attira l’attention d’un chat. Ce dernier observa la scène et décida de sortir l’oisillon de « la boue » ou il était engloutit et se mit à le nettoyer. Une fois la toilette terminée le chat ne fit qu’une bouchée du pauvre canari ».

Le Directeur Général posa alors la question : « quelle est la moralité de cette histoire ? »

On entendit quelques murmures mais l’assistance ne se bousculât pas pour répondre.

« Eh bien, l’enseignement qu’il faut retenir de cette histoire, c’est qu’il ne faut jamais croire que celui qui, à priori,  vous traite bien le fait  vraiment dans votre intérêt et qu’à l’inverse celui  qui est dur avec  vous, il le fait peut être pour votre bien et pour vous faire progresser »

Un des participants  répliqua : «  Mais il n’y a pas que ces deux situations extrêmes, une troisième voie est possible. On peut essayer de faire progresser les gens et en même temps bien les traiter »

« Effectivement c’est une manière de voir les choses », dit le Directeur Général, très contrarié que quelqu’un ait osé le contredire.

Quelques semaines plus tard on apprit que la personne qui a cru bon de commenter l’affirmation du Directeur Général  a été écartée du comité de direction.

Le commentaire du consultant

Le cas que nous exposons n’est  pas isolé .Il est représentatif d’une partie de nos  dirigeants  dont l’ego disproportionné  les pousse à tisser une relation possessive avec leur proches collaborateurs. Pour se rassurer ils ont besoins au quotidien de marques de révérence, d’admiration pour ne pas dire d’adoration.

Dans leur logique la différence d’opinion est perçue comme une remise en cause de leur autorité, une attaque personnelle ce qui mène droit, non pas au conflit d’idées, mais à l’opposition entre individus.

Le fait que leurs collaborateurs ne partagent pas leur point de vue provoque chez eux au plan personnel une grave blessure narcissique.

Un nombre important de déboires stratégiques et de dérives managériales qu’ont connus quelques grands groupes publics et privés marocains trouve sans doute son explication, au moins en partie, dans le fait que les décideurs ont préféré parfois s’entourer de « courtisans » plutôt que de conseillers et ont réduit au silence les voix divergentes.

Pourtant la conflictualité, tout au moins en milieu professionnel, est salutaire surtout quand elle ne se réduit pas à l’affrontement stérile.

L’entreprise est un corps biologique vivant  et il est normal que surgissent  des désaccords d’appréciation sur une situation donnée de la vie de l’organisation. Les relations hiérarchiques, les relations entre collègues, les rapports avec les clients et les fournisseurs .. sont autant  d’occasions d’apparition des conflits.

La logique qui consiste à éviter coûte que coûte toute divergence d’opinion est en réalité l’expression d’un système de subordination ou le chef doit être obéi et craint en tant que tel et ou le collaborateur doit faire preuve de soumission pour bénéficier en retour de sa  protection et de son paternalisme.

Résultat : une tendance à l’immobilisme et au consensus mou dommageable à l’entreprise  et aux individus.

A terme, cette catégorie de managers retranchés derrière l’aura de leur fonction et de leurs pouvoirs  finit par susciter des ressentiments lourds chez beaucoup de leurs collaborateurs. Obligés de taire leur point de vue sur les questions les plus déterminantes de leur vécu dans l’entreprise ces derniers ont le sentiment de ne pas être respecté ni considérés.

Traités comme des exécutants les managers de première ligne ont du mal à reconnaître, à leur tour, le droit à la parole et à la responsabilité à leurs propres subordonnés.

Il en résulte un renversement du système de valeurs de l’entreprise dans lequel désormais la soumission, le non dit et  l’immobilisme se substituent à l’audace, au sens critique  et à l’initiative.

Omar BENAINI

Consultant Associé

LMS Organisation & RH

Professeur de management à l’ENCG de Settat